Bestiaire à 6 pattes

Textes d’Odile Massé et de Gaël Massé
sur des dessins de Michel Massé

Au Chien Bleu la fée verte envoûte
A qui mieux mieux et coûte que coûte
C’est l’estaminet des nuits noires à la magie blanche

Un chien à boire où le carnaval trépasse

Au Chien Bleu l’enseigne saigne
Du sang degré des éléphants roses
C’est l’estaminet des nuits blanches à la magie noire

Au Chien Bleu aboient sans soif
Les nez rouges de pif blanc
Piliers pafs à têtes de piafs
Qui tutoient sans joie leur épitaphe
« La vinasse ça laisse des traces »

Au Chien Bleu se côtoient
Des espèces en détresse
Des espèces en fin de vie
Des espèces en fin de nuit
Des espèces enfin en vie
Des envies de fond de puits
Des ennuis de fin cuits
Au Chien Bleu tout se peut
Au Chien Bleu tout se perd
La vertu la bourse ou la vue

GM

au chien bleu

Quand on cogne dans la glace avec les piolets, jour après jour arrachant ainsi la peau de la montagne et remontant le temps comme on dépècerait la mémoire, alors parfois sous le derme luisant on voit apparaître, bleue du froid dans lequel elle respire et qui la garde en vie, on voit apparaître parfois la bête qui nous regarde, on voit sa tête où les coulures du gel font des larmes enchâssées, on la voit tout au loin paraître dans les mirages du givre, et lâchant nos piolets on aboie tous en chœur, on aboie pour dire qu’on sait bien qu’elle est là, on aboie pour elle, pour qu’elle fuie, qu’elle retourne aux fantômes de la banquise, tout au fond des glaces, au plus profond de la mémoire qu’on laisse reposer là-bas, sur le toit du monde.

OM

Celle-là, de l’autre côté de la vitre les soirs de pluie, toute dégoulinante et qui frappe à la porte et demande à entrer jusqu’au tréfonds pour prendre place dans notre corps, voir avec nos yeux, parler avec nos mots et faire couler en nous le sang dont elle se nourrit les soirs de pluie, celle-là c’est comme ça, elle frappe à la porte, frappe au carreau, aspire entre ses yeux les nôtres, tant et si bien qu’il ne faut pas l’entendre, pas la regarder, jamais, pas même en avoir le désir — mais fermer les volets fermer la porte fermer les yeux, rester à l’intérieur de soi et ne pas penser, surtout pas penser qu’elle est faite de pluie et de sang et de chair dévorée jusqu’au fond de nous-mêmes.

OM

BÊTE NOIRE

C’est la bête qu’on dit qu’elle vit sous les lits.
En fait elle vit ailleurs, elle naît ailleurs, et n’est d’ailleurs qu’ailleurs.
La bête noire est sournoise, toujours tapie, prête à nous engloutir.
A chaque nuit tombée la porte se referme, nous laissant seuls en nos âmes et inconsciences.
La bête noire se dévoile alors en voile brumeux, se répand, nous enrobe et nous enveloppe façon paquet-cauchemar.
Son œuf enfoui profond rend les enfants fous quand il éclot le soir.
Et tous les soirs, l’enfant dévale les pentes du Mont Songe, fuyant la Bête qui l’avale.
Parfois la veilleuse veille au grain mais c’est peau de chagrin si la bête est bien là !
Morfale de Morphée, elle dévore nos moutons sans compter.
Seule la lumière terrasse la Bête vorace… ou le doux rêve qui prendra la relève.

GM

Le bizarre est un animal étrange.
Sans queue ni tête, juste une mâchoire grande ouverte.
Il n’a pas non plus d’écailles ni la peau dure en cuir, mais c’est un dur à cuire pour celui qui l’empaille.
Il n’a pas la longue langue qui lape les mouches au vol, ni une paire de pattes ou deux qui permettraient d’avancer.
Il ne monte aucune femelle ni ne descend d’aucun mâle.
Il ne pond rien, pas même un œuf.
Il n’est ni serpent ni cochon, mi-varan mi-dragon.
On dit qu’il ne vit ni sur terre, ni dans l’air, ni en mer.
On dit qu’il erre dans le néant.
Si bien qu’étrangement le bizarre n’existe pas.
Tout simplement.

GM

BIZARRE

A condition de s’équiper d’un scaphandre à semelles de plomb et de marcher dans la forêt d’algues brunes, à condition de se glisser entre les lames, d’y glisser pas à pas en retenant sa respiration et de se perdre dans la vase, dans les fonds de la mer, entre coraux, néréides et posonies, alors il se peut qu’on rencontre le très ancien poisson qui bouche ouverte se laisse traverser par l’eau et dont les écailles sont des algues, le poisson mère de toutes les algues qui, depuis le fond des abysses, veille sur les courants marins ; et quand on le rencontre, il faut faire comme si on ne l’avait pas remarqué, passer son chemin afin de ne pas troubler l’ordre des marées, ne pas troubler le flux, pas troubler le cours des courants qu’il crache à longs filets d’eau tiède pour arroser les algues dont sa tête est couverte, et qui montent et se détachent, et voguent avec la houle pour enserrer les navires perdus en mer.

OM

Par les soirs de chaleur on les attire avec de grands fanaux qu’on agite derrière la fenêtre — et on les voit venir, qui volent en silence jusqu’à notre lumière, volent et se cognent contre la vitre où elles s’écrasent, tant est grande leur vitesse, s’écrasent les yeux ouverts entre leurs ailes et restent là jusqu’au petit matin, barbouillant de bouillie la fenêtre, jusqu’aux premiers rayons du soleil qui les dessèche tant et tant qu’elles tombent en poussière, l’une après l’autre, comme des feuilles en hiver qu’il faut bien ramasser avant le soir suivant.

OM

CHAUVE-SOURIS SANS GPS

La chauve-souris sans GPS a le sonar zonard et l’air ahuri de son espèce.
Quand on l’appelle chauve-qui-peut, ce drone de chiroptère se déplace de nuit à grande vitesse, zigzagant au hasard de l’espace telle une furie en détresse.
Mais la bête sans GPS, gueule ouverte espérant l’insecte, s’écrase malheureusement toujours le museau avant d’avoir pu l’avaler.
C’est cette cécité non compensée qui lézarde lentement les murs de nos modestes masures.

GM

La parole naît de la conversation. Pas l’inverse. Et la parole naquit ainsi, nous dit ce dessin.
De l’aube à l’aurore des Temps, les arbres oiselés d’emplumés papotent parole primaire. Dans l’eau on papote peu, c’est moins pratique.
La parole jaillit donc de l’eau quand les poissons eurent des jambes, mais avant qu’ils n’aient des plumes.
Les premiers pas sur terre furent posés avec la frayeur de l’inconnu : il fallait quitter le ventre de la mer, s’éloigner de la source de l’aqueux primaire.
« A l’eau! A l’eau! », criaient les moins téméraires. « Quoi? Quoi? », répondaient les futurs batraciens déjà loin, si pressés que leurs oreilles n’avaient pas encore eu le temps de pousser.
Ainsi donc naquit la parole : d’une conversation balbutiante, proche d’un dialogue de sourds.
On remarquera que ce comportement demeure chez l’Homme moderne quand son téléphone sonne : il enfile sa sortie de bain primaire et aussitôt s’écrie « Allô! Allô! », puis l’Homme moderne glisse sur sa savonnette et vole comme un oiseau.

GM

CONVERSATION BEC A BEC

On en a vu s’asseoir en haut de la montagne pour battre des ailes, et ce sont de longs discours qu’on entend tout là-haut, de longues paroles qui s’envolent à travers le ciel tandis que sur les roches ils parlent à qui mieux mieux, et pérorent et discourent sur la vie comme elle va, et sur l’ordre du monde et les commencements, et quand on reste à l’ombre de leurs ailes on voit leurs paroles prendre essor et voler vers d’autres horizons, on se dit que ce sont des paroles en l’air, on se dit que seuls les écrits restent et qu’il faut prendre des notes afin que jamais rien ne se perde — mais pour ça, il faut se tenir caché entre leurs plumes, en arracher une très délicatement, et dans la glaise graver ce qu’on voit s’envoler de leur bec.

OM

Ça fait peur, oui vraiment ça fait peur quand on voit comme ça sur le chemin se dresser le masque effrayant, le grand loup, le spectre de nos enfances, quand on le voit devant soi, oui, ça fait peur — et on se fait petit on se fait minuscule, on tente de creuser dans le sable, de s’enfouir malgré les scorpions et même si l’on sait, même si l’on sait bien que derrière le gros masque il n’y a que du vide, il n’y a que du vent et de la poudre aux yeux, fumée, poussière, même si l’on sait que tout ça c’est pour rire et qu’il n’y a rien derrière, rien du tout, pas d’au-delà, pas d’en deçà, rien de rien, même si l’on sait que les simulacres ne sont qu’une part de nos rêves, vraiment oui ça fait peur quand on voit le loup blanc se dresser devant soi, quand même vraiment peur, oui. 

OM

LE PAUVRE PETIT

C’est la bête qu’on dit qu’on la traite plus souvent qu’à son tour.
Ovipare ailé aux ailes involables tant ses os sont bien liés.
Présente sur Terre avant que la vie n’y fût, l’espèce est si vieille qu’elle se fossilise au fil des âges.
Ainsi coincé en position d’affolé ou d’acculé à se rendre, et ses mutations multiples ayant poussé le vice à atrophier ses besaces marsupiales, le pauvre ne peut plus marcher en voyou les ailes au fond des poches. Sa réputation d’animal bien élevé est donc naturelle et méritée.
Aujourd’hui l’oiseau géant de la nuit des temps à tête de cheval cavale et peut se targuer d’être le seul animal à ne pouvoir ni voler, ni être volé.
« Oh mais qu’as-tu, mon pôv’petit ? », s’inquiètent toujours les passants quand la bête passe.
Et ça, ça l’agace.
À tel point que lorsque le Pauvre Petit découvrit de quel nom ridicule les Hommes affublaient sa race, ce fut le coup de grâce : depuis, l’espèce s’éteint doucement de tristesse.

GM

L’éléphant ne vole pas, contrairement au faon ailé. Mais les fantasmes perdurent, et les fantasques images, et les fantômes mythiques…

Normalement chez l’éléphant, la trompe aspire à l’heure. Mais quand un éléphant se trompe énormément, eh bien, généralement il aspire à tord et à travers, alors sa trompe éternue et l’étonnante trompette tonnante barrit lion deux heures.

Lecteur,
pour la survie de cette espèce, lis voir :

IL NE FAUT JAMAIS
PRENDRE LA DÉFENSE D’UN ÉLÉPHANT,
C’EST INTERDIT !

GM

ELEPHANT

Lune après lune on les invoque, on leur demande d’approcher de nos maisons, on espère qu’ils vont traverser la forêt en faisant trembler la terre et fuir les serpents, on attend longtemps leur venue, lune après lune, on leur donne le temps de nous entendre, d’entendre nos prières, au moindre craquement de branches on pense qu’ils sont en marche tous ensemble l’un après l’autre à travers la forêt, on compte les jours, on compte les nuits, on se rappelle à leur bon souvenir — et parfois, on ne se trompe pas : ils viennent et se tiennent en cercle autour de nous, immenses et gris dans la nuit, et dansent lentement et veillent sur notre sommeil pour nous transmettre la mémoire qu’ils ont de nos ancêtres, l’un après l’autre et lune après lune depuis les commencements.

OM

Tous les dix ans, c’est l’un des dix commandements, tous les dix ans on y va, dix par dix on y va, on la trouve et on lui coupe les pattes, les dix pattes et dix fois dix ventouses sur chacune de ses pattes, on les coupe avec nos doigts, nos dix doigts de nos deux mains, on lui coupe les pattes afin qu’elle ne pénètre pas dans notre grotte, jusqu’au fond tâtonnant du bout des tentacules, tâtonnant à la recherche des petits, non non non, nous on coupe ses dix pattes avec nos doigts, on compte jusqu’à dix, on compte les plaies, les tribus et les dieux, on compte par décades et on nage sur les bords de la mer tandis que dans son antre elle attend que repoussent ses pattes, qui sont au nombre de dix.

OM

PIEUVRE À DIX PATTES

La pieuvre à dix pattes n’en a pas onze.
Ni neuf, ni douze, ni treize…
La pieuvre à dix pattes a dix pattes.
Pas une de plus, pas une de moins.
La pieuvre à dix pattes a dix pattes et voilà.

GM

Le mauvais taon fuit le soleil comme un vampire. Il se cache dans l’ombre des recoins du ciel en attendant les nuages… et quand les nimbus arrivent enfin, cumulant cumolo-strato-tout, les mauvais taons sortent en force et nous dévorent comme par devoir. Ils sont féroces, ils sont mauvais. Ils sont très très mauvais. Surtout des pieds.

GM

mauvais taon

Quand on le voit approcher, arrivant par les airs au sein de la nuée qui obscurcit le ciel et vrombit au-dessus de nos têtes, quand on le voit approcher on se met à l’abri, on garde la bergère, court avec nos moutons, à toutes jambes on court, on va vers nos chaumières en entendant l’orage, on consulte les thermomètres, baromètres et divers haruspices, vite on prépare une décoction d’orties, malaxe vite vite, malaxe les onguents et pâtes bien camphrées, vite, et dans la crainte, vite allons, dans la crainte de l’irréparable outrage on ouvre nos parapluies.

OM

Ce jour-là on fouillait dans les tas de ferraille, on retournait la rouille à tour de bras, et c’est là qu’on l’a trouvé, au fond de la tranchée, à peine germé dans la casse parmi les fils de fer, lames, coutelas, vieux ressorts, baïonnettes et canons, dans les rousseurs du sang et de la terre où il prenait racine, il était là, tout petit, attendant qu’on le prenne avec deux doigts pour le poser entre nos seins, juste au creux du sillon où il se chauffe maintenant, hésitant à grandir.

OM

bébé

C’est la bête qu’on y croit pas quand elle est là.
— Il est né ça y est ! Viens vite à la maternité !
Il est quatre heures du matin et je suis parrain, enfoui profond dans mon lit douillet, la tête dans l’oreiller, pas du tout réveillé.
Bon, d’accord, je vais faire un effort : un slip, un pipi, le reste et dehors !
Trajet piéton nocturne urbain somnolent : impasse de la guerre, boulevard des massacres, rue de la bataille, place du soldat, avenue du général. J’y suis. La maternité.
Je pénètre ému dans la chambre de la maman : il y a déjà sa maman et la maman du nouveau papa et les tatas du nouveau bébé et les papis et les tontons et les neuneux et les mémés…
Tout ça se presse en liesse sur le berceau, vu la petitesse de la pièce on se bat pour sa place.
J’observe les murs : peinture morbide pour lieu de vie. Bien vu. Soyons clair dès le début.
Ça y est c’est mon tour. Il faut aller voir, j’accours. Je me penche sur le bébé et… Mais ?! Mais… euh… c’est que comment dire… il est mignon oui ça oui ! Museau pointu, oreilles velues, moustache garnie, le poil soyeux, pour sûr, c’est un beau bébé !
Je me sens soudain très mal à l’aise : comment deux humains ont-ils pu pondre ça ? C’est rat souris quoi ça ? Mulot des villes ou des champs, monstrueuse musaraigne ?
Personne ne dit rien. On s’extasie sur les gazouillis, on caresse la toison, on recherche les ressemblances.
Serais-je le seul à remarquer le souci ? Sont-ils tous trop polis ?
Eh bien c’est décidé : moi aussi.
J’ai félicité et je suis reparti dans mon lit.
On reverra ça demain matin.

GM

C’est la bête qu’on fixe au crucifix quand on est en rupture de stock.
Une fois accompli l’unique coït reproducteur de sa courte vie, l’écorché vif se dépêche de préparer sa mort au mieux : Monsieur se lacère le torse et le reste à une profondeur parfaitement régulière, taillant ainsi sa chair en lamelles de dimensions égales que Madame dispose à sa guise afin d’y nicher au plus tôt.
L’autodissection de Monsieur achevée, il forme avec la toile infinie de ses tissus nerveux une cape translucide qui transforme ce modeste rongeur en chauve-souris de la douleur. Madame empale son mâle saignant sur un pieu puis dresse la dépouille près de sa couche.
Face à un tel étonnant étendard si sublimement multifonctionnel, nous devons tous nous exclamer émerveillés : « Ah ! Que la nature est bien faite ! » car en effet le parasol-épouvantail pestilentiel est efficace : même le plus charognard des vautours fera toujours le détour débecté.
A l’abri donc des soucis de la chaleur et des prédateurs, la femelle niche confortablement lovée dans l’immonde amas douillet de derme graisseux. L’enfant croît ainsi en mère sous père en croix jusqu’au jour de sa naissance pour le plus grand malheur de son espèce : l’intra-utérin ne suffit plus au gros bébé affamé qui dévore de l’intérieur le corps de sa mère. Et l’enfant fraye son chemin vers la vie à travers les entrailles maternelles…
Un premier cri poussé par ses poumons remplis et c’est parti ! Il avale vite les restes de son père et part à l’aventure pour enfanter à son tour.

GM

écorché vif

Il y en a quelques uns par ici, quelques uns qu’on trouve accrochés sur les portes de nos maisons, fendus écartelés par le milieu, punaises bien plantées tout autour, et la peau qui pend entre leurs membres flotte comme une membrane légère, flotte et se soulève avec l’air chaud qui monte de la terre, ils sont là ventre ouvert et nous regardent sans rien dire et on a beau leur poser des questions sur le temps qu’il fera demain et l’issue du combat prochain, on a beau leur demander bonheur, fortune, amour et mort très douce, on a beau dire ils ne disent jamais rien — tant et si bien qu’on leur met un fil à la patte et on court à travers champs, on court autour de nos maisons et dans le vent qui souffle et qui tourne avec nous on les voit tournoyer et quand on les entend chanter, enfin chanter avec le vent qui souffle, alors on leur replie la peau et tout ce qui s’ensuit, au pied d’un arbre on les enterre, en grande pompe les enterre et ça nous donne du cœur au ventre.

OM

Quand les vagues sont grosses par ici, quand elles sont très grosses alors elles nous engloutissent d’un coup et gobent avec nous le monde qu’elles brassent de haut en bas et roulent tout ensemble, ciel herbes sables et cailloux, et tanguent, et déferlent du plus profond, remontent et plongent de nouveau cul par-dessus tête et nous mettent la tête à l’envers, oui, tant et tant qu’on ne sait jamais si c’est le mal de mer ou le vertige qui nous tient, ni si le poisson qu’on croise nous vient du bas ou bien du haut, ça on ne le sait jamais quand on nage dans le tournis des couleurs, et on pense qu’au fond rien n’est absolu, rien n’est jamais certain, on pense qu’on ne sait plus rien du monde quand on flotte entre deux eaux.

OM

POISSON DES HAUTS-FONDS

Le poisson des hauts-fonds n’est pas bleu quand il est au fond car, au fond, il n’est bleu que quand il fond en eau de cuisson. De toutes façons, au fond des hauts-fonds c’est tout noir, alors va-t-en savoir !
Bon. Retenons que le poisson des hauts-fonds : c’est bon. C’est tout.

Le poisson des hauts-fonds nage en eaux troubles, ça coule de source. Pour certains d’ailleurs, c’est le poison des hauts-fonds ! Un poisson des bas-fonds sans hauts fondements, un poisson des eaux à peine potable, un poiscaille un peu canaille qui offusque même les mollusques… le bouffon des tréfonds.
Donc : retenons que le poisson des hauts-fonds, c’est bon. C’est tout.

Le poisson des hauts-fonds se morfond dans le noir. Il s’enfonce sans voir. Dans la nuit du fond. La nuit sans fin. L’ennui, au fond. Mais il s’en fout. Quand il touche le fond sombre et mazouté, le poisson des hauts-fonds sombre dans l’oubli.
Cependant, retenons que le poisson des hauts-fonds : c’est bon ! Alors c’est pas l’tout ! Faut aller l’pêcher profond !

Pour ce faire, le pêcheur ferre l’appât pas flairé par le poisson. Aussitôt, ce nigaud des hauts-fonds pas finaud fuit, force, fonce, freine et frétille tant et tant qu’il s’abîme au fond de l’abîme et fini flippé flapi flottant en surface. On le terrasse à coups de masse puis on ramasse sa carcasse, et… bref, je passe, c’est dégueulasse.
Mais retenons que le poisson des hauts-fonds, c’est bon. C’est tout.

Pour le cuisiner, rien de plus aisé : vite fait frit dans une poêle en fonte, son poids fond des eaux de vie. Et ainsi fond, fond, fond, le poisson des hauts-fonds ! Il fond abondamment formant finalement le fameux bouillon bleu qui ennobli le plat. C’est juste là qu’on sort la bête pour lui couper la tête ! Le peuple exulte, exhalant exalté le fumet fumant. Le poisson des eaux fond sous la langue. Et si le sot l’y laisse, extirpez donc la moelle des os usés, un régal pour nos crocs acérés !
Ainsi, retenons que le poisson des hauts-fonds c’est bon et c’est tout.
Même en faitout.

GM

Cette guerre prouve bien
que la bêtise
n’est pas qu’humaine

GM

GUERRE DES OISEAUX

Mais voilà que prenant leur essor, et comme il leur poussait bec et griffes et plumes aussi, voilà qu’ils ont entrepris d’occuper l’espace tout entier, volant dans le grand vide sans nuage, et ils écrivaient dans le vide leur nom, à grands coups d’ailes l’écrivaient en criant, criaillant et piaillant, à qui mieux mieux criant, tous ensemble inventant l’espace en l’ouvrant autour d’eux, à la mesure de leur fureur qui répandait plumes et duvets sur le ciel, et certains tombaient de la nuée bec ouvert tandis qu’au-dessus, et dessous, et partout, le vide se peuplait de cris et de coups et devenait mouvant, vide plein de dangers obscurs dont nous craignions qu’il nous emporte et nous perde, car l’horizon avait maintenant disparu très loin, au fond de nos mémoires.

OM

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