Les poinçonneurs
5 histoires courtes en castelets mobiles
pour 1 seul spectateur
spectacle de marionnettes proposé par la Compagnie Le Grand Manipule
Texte : Gaël Massé
Mise en scène : Gilbert Epron
LE PÉTOMANE VOLANT
Décor : fleur et hublot
– Bienvenue, chers spectateurs ! Vous voyez ces fleurs ? Vous sentez, ces fleurs ? Mmmh… cette odeur boisée… ça vous est offert… contre l’effet de serre…
Il tend une fleur au spectateur.
– Tenez, c’est sincère… mais avant tout je me présente : je suis le pétomane volant ! Ne craignez rien, je ne suis pas dangereux pour l’environnement. Je suis venu en pet… et pourtant ! Après les Accords de Kyoto et à cause d’un mot de trop sur les pets du taureau, on a condamné mon numéro ! Après chaque événement, comme dédouanement, je dois replanter un parterre de fleurs des champs… Moi ?! Le Pétomane Volant ?! Dangereux pour l’environnement ?! Mais c’est la mort de l’art vivant !!!…
Il fonce sur les spectateurs et se prend la vitre.
– Heu… hem, hem !… Heu… cette vitre, mesdames et messieurs, pour vous protéger des éclaboussures ! Vous allez voir, humer, sentir, respirer, renifler, le seul homme capable de voler sur sa propre déflagration ! Pas toujours propre d’ailleurs… car ce numéro hors du commun va faire appel à tous vos sens : l’odorat d’abord… que les narines sensibles s’abstiennent ! L’ouïe, bien sûr, à apprécier à sa juste valeur… la vue ensuite ! Car, sous vos yeux ébahis chers spectateurs, un homme va quitter l’attraction terrestre par la seule force de son derrière ! Le touché, parfois, quand ça dérape et qu’apparaît enfin le colombin ! Et puis le goût… bon, le goût… j’ai rien contre : avis aux amateurs, en cas de vol de colombins ! Symbole de pet… At-tention, attention !!! Tenez vous pet, nous allons commencer !
Musique de fanfare… Il commence à se gonfler…
– Grâce à l’action coordonnée de mes gaz en suspend, mon sphincter détonnant et ses vents étonnants, je vais sous vos yeux produire une poussée vers l’avant qui me permettra de décoller !
Ça gonfle, ça gonfle…
– Pet charmant, pet foireux, pétarade ou silencieux, j’atteindrais les cieux !…
Il est plein, il est prêt. «PRRROUUUT !!!…» ça ne vole pas. La musique s’arrête. Il se regonfle vite, vite…
– YAAAHAHAHAAA !!! Aiguisez vos naseaux, préparez vos poumons, l’asphyxie va commenceeer ! At-tention ! Plein gaz ! Droit vers le fiel !…
Musique. «PRRROUUUT !!!…» Ça vole !… Ça éclabousse la vitre.
LE PETIT CHAPEAU ROND ROUGE
Décor forêt, deux yeux rouges au fond d’un trou noir qui suivent parfois un truc qui passe ou se passe, un souffle long fait voler quelques feuilles mortes à l’avant-scène…
– Le bonjour, spectateur !… Non, là, regarde à l’intérieur… les deux petits yeux rouges… ce n’est pas un leurre : je te vois si tu bouges ! Tu as peur, spectateur ?… Je chasse à l’infrarouge… j’attends la viande rouge… le petit chaperon rouge… chut ! Attention, ça bouge…
Un truc passe ou se passe…
– Fausse alerte : un petit bourge qui sent la courge… moi, je veux chaperon rouge ou je tue tout ce qui bouge !!! J’ai un conte à régler avec ce petit con rouge. Il a dit trop de mensonges. Dans cette histoire-là, pour une fois, c’était pas moi ! La vérité je la connais ! D’ailleurs je vais vous la conter… et ça n’est pas un secret ! Vous devrez le répéter !… Alors voilà. Tout commença comme ça : il était une fois une petite fille sans foi ni loi à qui sa grand-mère avait offert… un petit chapeau rond rouge ! Et ridicule. La honte pour la gamine, ça lui donnait mauvaise mine ! Pour se débarrasser du chapeau, elle m’a tout remis sur le dos. La belle affaire ! J’aurais bouffé la grand-mère ! Et la gamine avec ! Tenez ! Le coup du panier ! Les galettes ? C’était du gros rouge ! Des produits laitiers ? Tout était alcoolisé ! En fait, ce fameux mercredi après-midi où elle visitait sa mamie… ben… quand la petite est partie, je suis venu, moi aussi… mais j’ai pas bouffé la grand-mère ! C’était une bonne amie. Après le gros rouge et quelques bières, nous, on s’envoyait en l’air ! Mais le morpion avait oublié son chapeau rond et j’avais laissé entrouvert… le petit con rouge a vu tout rouge ! Le voilà qui m’entaille de la gorge aux entrailles ! Toute ma tripaille en boustifaille ! Des boudins ! Des andouilles en pagaïe ! Pour la grand-mère, j’ai pas vu faire… mais sous le chapeau rond et rouge, j’entendais la terrible question à mon intention : « Le recoud-je ou m’en contrefous-je ? »… En deux temps trois mouvements de la pierraille dans mes entrailles, aiguille, ficelle, loup farci en pierre de taille et hop ! Au fond du puit ! « C’est bon, l’ami ? »… Des semaines à moisir ici j’en ai marre ! CHUT !!!… La voilà…
Passe le Chaperon Rouge…
– Promenons-nous, dans les bois, pendant que le loup n’y est pas…oh ! Vous m’avez fait peur… euh… ehem ! Enchanté. C’est beau la forêt, ça vous plaît ? Euh… vous n’avez pas vu le loup ? Un boudulou ? Juste un p’tit bout d’loup ? Non ?…
La tête du loup jaillit, le bouffe et disparaît !
– Mmmh… le petit Chaperon Rouge…
Un rôt… quelques tâches de sang…
– Houps ! L’appétit s’échappe en ronds rouges… de sang !
LE ZOÏDE INTRÉPIDE
Décor gluant…
– Allô ? Allô ? Vous m’entendez ? Humanoïde ? Ici zoïde ! Humanoïde ? Ici zoïde ! Eho ?! Youhou ?! Je suis là ! Dans le bide ! Là… voilà. Matricule 512 327 021, 13° manipule, 2° testicule, 1° éjacule, au rapport ! Comme convenu je rends compte de la situation. Alors voilà : je suis perdu et je ne connais pas ma position. On aurait dû mettre l’ovule dans les testicules, c’aurait été un meilleur calcul. Parce que là : on éjacule, ça pullule, moi… je capitule ! Pourtant au début, nickel : superbe éjaculation ! Malgré la cohue, chaque individu suivait son chef d’escadron : « Tous à l’ovule ! Dans l’ordre des matricules ! » Terrain humide, sans spermicide. J’avance en tête, le noyau en fête ! C’est moi qui trouve l’astuce pour passer les trompes de phallus ! Heu… de fallope. Et là, hop ! Je stoppe le groupe. Observation… apparition ! Au détour d’un globule : la petite ovule. On me congratule. Moi j’avance, incrédule, j’ondule tranquille mon flagelle… quand soudain ! Un groupuscule ovoïdal m’accule et me bouscule : « L’ovule est là mais tu l’touches pas ! » Je m’incline, je recule. J’appelle à l’aide mon escadron de troufion… et là ça cafouille, là, ça cafouille… mais déjà dans les couilles c’était l’embrouille ! Je découvre mes zoïdes tout bizarroïdes ! Ils s’amènent et me malmènent ! Ensuite, je ne suis plus très lucide et tout est très rapide. Les bolides pullulent et c’est la débandade morbide ! Tous les zoïdes visent l’ovule sans scrupule ! En un instant, d’homicides perfides en génocides sordides, la moitié se retrouve invalide. Moi je m’en sors indemne : je m’étais caché dans un œdème. A mon réveil, j’ai cherché une veine en vain, mais rien. Pas de veine… j’avançais avec peine et en plein tournant lymphoïde je me suis perdu dans une hémorroïde. Loin de mon escadron ovoïde et le ventre vide, je suis entré dans une phase paranoïde. Comment réussir cette mission anthropoïde ? Je suis peut-être un spermatozoïde mongoloïde ? Alors là je me dis : non. Non, t’es pas si nul. T’as droit comme tout le monde à l’ovule ! Lui faire péter l’opercule ! Pour peu qu’elle prenne pas la pilule, t’es là pour faire un petit Jules ou une petite Ursule !… Mais faut être honnête : le couillon de l’escadron c’est moi. Oh, vous pouvez être vindicatif, je sais, je suis loin de l’objectif. Je vais mourir de fatigue sans avoir résolu l’intrigue.
Un truc mou arrive, bien plus grand que le petit bonhomme.
– Houlà ! Eh ? C’est quoi, ça ? Aaah !… Mais… mais non, mais !… C’est l’ovule ! C’est l’ovule ! Lovuléla !!! Lovuléla !!! Lovulétamoi !!!… Excusez-moi, mais… je crois que… je… oh, et puis !…Ô, splendide ovule, moi, zoïde intrépide, je vais te pourfendre la peau pour te prendre le noyau ! Ah la la tu trembles ! Viens ! Fusionnons ensemble !
Il plonge dedans l’ovule et disparaît.
LE SYNDROME OSSO
J’ai un problème. Une obsession. Un truc qui me lâche pas depuis tout petit. Un traumatisme, on dit. Ça m’a laissé des séquelles. C’est un syndrome. Je l’ai nommé moi-même ! Normal, c’est le mien. C’est mon syndrome. Mais je ne lui ai pas donné mon nom. Ah non ! Ça non ! C’est vachement dégradant pour la famille, ça ! Ton nom pour un syndrome et c’est foutu pour des siècles ! La honte pour les descendants ! Dès qu’on rencontrera quelqu’un : « Oui oui, mon nom vient du syndrome du même nom. Nous avions un ancêtre dérangé mais je vous rassure, rien d’héréditaire… »
Je l’ai nommé OSSO. Le syndrome OSSO. C’est neutre OSSO. Personne se doute. Os-eau. Vous voyez ? Quand on est petit on confond tout. L’os : O.S. et l’eau : E.A.U. L’os, l’eau, les os. Loslolézo ! Lézoloslo ! Loloslézo ! L’eau, les os, les os, l’eau…
Au début, c’est l’eau. C’est toujours l’eau, au début. Après, y’a un os. C’est l’os qui vient de l’eau, pas l’inverse. Pourtant pour moi tout commence avec un os : les eaux de ma mère. Enfin… ses eaux l’eau pas l’os les os. Ah. Vous voyez un peu la confusion ? C’est ça le syndrome OSSO ! Vous comprenez ? Oui ? Non. Oui, c’est sûr, c’est confus… mais c’est ça le truc : la confusion ! La confusion os-eau !
Je m’explique : ma mère attendait mon petit frère. Il nageait tranquillement dans l’eau entre les os de ma mère. Ça, j’avais à peu près bien compris. Mais une nuit que je m’étais endormi je fus réveillé par un grand bruit. Inquiet je me lève, entrouvre ma porte… et je vois passer dans le couloir ma mère sur un brancard avec mon père derrière qui gesticulait, désespéré : « Elle perd ses eaux ! Elle perd ses eaux ! »
Et là : paf ! Le syndrome : j’imaginais ma mère filant sur son brancard et perdant tous ses os ! Elle semait derrière elle ses tibias, ses fémurs, ses vertèbres ! Ça volait de partout ! J’en voyais plus qu’il n’en faudrait pour dix squelettes ! Le cauchemar… j’en ai longtemps voulu à mon petit frère.
Par la suite, tout s’est enchaîné très vite : dès les premières vacances, on est allé visiter une chute d’eau. L’horreur ! Je ne voulais pas voir ça ! Au retour, c’était pire, je ne pouvais plus répondre au téléphone. Dès les premiers mots : « Allô ? », je m’empressais d’appeler les pompiers ! Un après-midi de canicule, mon père est revenu en annonçant fièrement qu’il nous avait acheté un jet d’eau. Je trouvais ça gentil de nous offrir un nouveau jeu pour l’été. Mais je ne me sentais pas capable de jeter un os en l’air, par respect pour ma mère…
UNE ARAIGNÉE DANS LE GRENIER
La marionnette fait le ménage. Le personnage remarque le public.
– Eh ?! Mais ?!… Eh ?… Heu… mais qu’est-ce que vous faites là ?!… Oh ben non, là, non…j’avais dit non, personne ici aujourd’hui : c’est le grand nettoyage ! Allez, faut pas rester dans les parages ! Aaaaah… mais c’est pas vrai, ça ! Faut faire un cloisonnage à capitonnage, pour faire le ménage ?!… Y’a intérêt qu’on me dédommage… si ça continue, moi, je déménage !… Ou je fais un carnage !!!
Un postillon part. Il se met à frotter comme un forcené, puis à chaque « P » quand il parle.
– Oh Pardon, Pardon… je Postillonne Pas Possible quand je me Perds dans de Pareils trop-Pleins de Paroles !… Aaah ! Il faut que ça cesse ! Cette pièce est impossible à astiquer !… Et cette poussière qui se repose sans cesse ! Je décrasse la crasse, je dégraisse les graisses, je détache les tâches, je décrotte… le paillasson, et toujours, à la moindre occasion, ça revient ! Une véritable infection ! Moi, je ne veux rien ! Plus rien ! Plus un seul acarien ! Sinon ça va pas, je suis pas bien ! Et là ça va pas. Je suis pas bien. Ça va pas du tout. Ça y est ça me gratte partout. Mais… mais qu’est-ce que c’est que ce fil qui me défit ?!… Pourtant je m’épile. Même les sourcils… eh, mais ?!… Mais c’est un fil qui défile! Regardez comment il se faufile !… Et voilà ! Je veux que tout soit impeccable, présentable et j’en suis incapable !… Faut dire aussi je jette rien. Je range. Tout ce qui me dérange, je range. J’y peux rien ça me démange. Grrrr !… Toujours ce fil qui file !… Germicide. Insecticide. Virucide. Parasiticide. Homicide. Bactéricide. Fratricide. Génocide ! Spectatoricide !!!… L’antibactérien ça mène à rien. Moi, je connais des moyens bien plus lucifériens !… Je liquide en un rien les arachnides et les acariens qu’on voit pas bien ! Et tous leurs hybrides putrides et sordides avec ! Aaaaah !… Mais ce fil me rend fou !!!… On me dit psychorigide, frisant toujours le morbide. Mais c’est la faute à l’arachnide. La seule que je ne trucide !… Je ne me suis pas méfier à l’arrivée, j’ai pas regarder au grenier. Pourtant y’avait l’araignée, au grenier… une petite araignée. Au plafond du grenier. Petite, mais… elle me nargue ! Elle pendouille sans vergogne ! Elle sait que je ne peux pas l’attraper ! Elle le sait je le sais ! Dès que je lève les voiles, elle refait sa toile ! Et la poussière vole recouvrir les souvenirs… et c’est tout mon navire soudain qui chavire… tant qu’elle fera sa loi je ne me sentirai pas chez moi !… Ah, j’échangerais bien ma maison pour retrouver la raison… on dit de moi que je suis complètement aliéné alors que je suis simplement surmené… en plus je dois lutter comme un forcené ! Parce que l’arachnide est hypnoïde, figurez-vous !…
Le fil se dresse, puis balance et hypnotise lentement la marionnette…
– Au bout de son fil, comme un doux balancier régulier, l’araignée te fait virer schizoïde ou paranoïde de la manière la plus perfide : tu crois que tu es lucide, mais en fait, tu ploies vers le stupide. Pourtant parfois c’est limpide : je vois bien les freudiens, les jungiens et les lacaniens, ils veulent tous être mes anges gardiens…
Au bout du fil : une araignée qui sort de la tête de la marionnette. L’araignée se met à parler.
– Son grenier est à vendre ! A prendre avec son araignée ! C’est petit, c’est cosy, plutôt joli de l’extérieur, un beau jardin intérieur, des milliards de tiroirs… On y cache ses passions, ses miroirs et ses émotions. Son imagination. Et une araignée dans le plafond !